Une mesure en faveur de l’efficacité économique ?

  • 16/01/2009
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La hausse du seuil des procédures sans formalités à 20.000 € est-elle vraiment une bonne mesure ? A voir... En agissant de la sorte, la France rejoint les autres Etats membres sur le sujet et créé une niche en dehors des directives communautaires. Ce qui risque de faire grincer des dents à Bruxelles. En interne il faudra résister à la tentation du saucissonnage, sinon gare au juge pénal !

A moins d’avoir passé les fêtes de fin d’année dans une contrée lointaine, vous n’avez pas pu passer à côté du relèvement du seuil des marchés sans procédure de 4.000 à 20.000 € HT (1). Cette hausse a conduit notamment à une réécriture des articles 11 alinéa 1, et 28 alinéa 4. Comme pour les marchés inférieurs à 4.000 €, les nouveaux marchés sans procédure seront dispensés de la forme écrite et du respect des obligations de publicité et de mise en concurrence. Toutefois, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Cette exonération reste quand même sous la coupe des dispositions de l’article 1er du CMP et du respect des grands principes de la commande publique (2). Si la dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence est admise en droit interne pour des raisons liées à une bonne gestion des deniers publics, il n’en va pas de même au niveau européen. En effet, les petits achats posent quelques soucis à la Commission européenne. Si elle admet que ces marchés n’entrent pas dans le champ d’application des directives « marchés », elle souligne que ces achats ne sont pas dans un abri qui les dispense de se conformer au droit communautaire. La Cour de justice des communautés européennes (CJCE), dans l’arrêt Telaustria (3), a estimé que les normes fondamentales pour la passation des marchés publics qui résultent des règles et principes du Traité CE sont applicables aux marchés dont le montant est inférieur aux seuils d’application des directives « marchés publics ». Il en découle que les principes du traité sont applicables dès le 1er euro. Dès lors l’instauration de politiques « de minimis », et la France n’est pas le seul Etat membre à agir de la sorte, est mal perçu au niveau européen. « Les Etats membres ne sont pas tenus par les dispositions des directives « marchés » en dessous des seuils communautaires. Mais ils ne doivent pas instaurer des règles qui iraient à l’encontre ou qui ne respecteraient pas les principes issus des traités », précise Bertrand Carsin, directeur des marchés publics à la DG marchés publics de la Commission européenne

La France, mouton de Panurge ?

A Bruxelles, on considère qu’avec un seuil relativement bas (4.000 €), la France faisait figure de bonne élève. « Le relèvement des seuils n’est pas une bonne chose. En rejoignant « le troupeau », elle ne donne pas le bon exemple et elle n’incite pas les autres Etats membres à baisser le leur », remarque-t-on. Agissant ainsi, la France fait fi de la jurisprudence communautaire et de la communication interprétative sur les marchés de faible montant de la commission européenne. A l’époque où le projet était en discussion, la France, l’Autriche et l’Allemagne s’étaient querellées avec Bruxelles au motif que la Commission n’avait aucun légitimité à rédiger des règles destinées aux marchés inférieurs aux seuils communautaires (4). Finalement adoptée en juillet 2006, la communication non contraignante énonce les règles en vigueur, synthétise la jurisprudence européenne et suggère des bonnes pratiques aux Etats membres (5). Considéré comme quantité négligeable, le MINEFE ne voit dans ce texte qu’un « acte atypique », dépourvu de caractère normatif. En outre, à l’occasion du recours formé contre le CMP devant le Conseil d’Etat (le seuil des 4.000 € faisait partie des mesures attaquées), le MINEFE avait défendu cette mesure en se fondant sur son caractère pragmatique, proportionnée et justifiée. « Elle vise à permettre au pouvoir adjudicateur pour la satisfaction de marchés de très faibles montants de ne pas mettre en œuvre des démarches procédurales économiquement disproportionnées » par rapport aux enjeux économiques (6). Le décret ainsi pris par le gouvernement n’a pas pour effet de rendre conforme ce type de marché au droit communautaire mais plutôt de conforter leur exclusion du champ des directives.

Le délit de favoritisme toujours là !

Généraliser les dérogations aux obligations de publicité et de mise en concurrence pour les marchés inférieurs à 20.000 €, n’est-ce pas une mesure qui va à l’encontre du principe d’efficacité de la commande publique ? « Cette hausse ne me réjouit pas. Elle fait peser sur nous une pression différente et nous n’avons pas les garde-fous nécessaires dans le CMP. Ces marchés de gré à gré ne sont pas soumis au contrôle de légalité, éventuellement à la Chambre régionale des comptes mais seulement a posteriori. Je suis dubitatif sur la réalité et le succès de la réforme et des effets espérés. De plus, je ne suis pas sur que cela va dynamiser l’économie, nos budgets resteront les mêmes. Le seuil des 4.000 € c’était un moindre mal. Mais là, j’ai peur des bons de commande à 19.999 €. Je crains une mauvaise évaluation des besoins voire un saucissonnage des marchés », confie Mathieu Loriou, responsable des marchés publics à la ville de La Rochelle. Les acheteurs publics auront-ils la tentation de fractionner les marchés ? Il serait dangereux pour eux de tenter le diable, d’autant que le spectre du délit de favoritisme continue de planer au-dessus de leur tête. La Chambre criminelle de la cour de cassation a jugé par un arrêt du 14 février 2007, que le délit de favoritisme s’applique également aux marchés qui sont dans le champ de l’article 1er du CMP : la méconnaissance de l’article 1er du code des marchés publics, dans sa rédaction issue du décret du 7 mars 2001, s’applique à tous les marchés publics, quel que soit leur montant, et entre dans les prévisions de l’article 432-14 du code pénal (7). Il faut donc faire preuve de prudence. Christophe Rouillon, spécialiste de l’achat public, remarquait à l’époque que « le montant de 4000 € ne doit pas devenir la norme. S’il parait nécessaire de faire une mise en concurrence car on peut y gagner de l’argent, il faut la réaliser » (8).  A méditer en attendant une éventuelle réforme du délit…

(1) Lire notre article : Réformes de la commande publique : acte II

(2) liberté d’accès à la commande publique, égalité de traitement des candidats et transparence des procédures

(3) Affaire C-324/98, Telaustria

(4) Lire notre article  Marchés de faible montant : l’Allemagne, l’Autriche et la France s’opposent au projet de texte de la Commission

(5) Lire notre article La Commission adopte une communication sur les marchés publics de faible montant

(6) Lire notre article Recours contre le Code 2006 : la ligne de défense du Minefi

(7) Lire notre article Les MAPA n’échappent pas à la sanction du juge pénal

(8) Lire notre article Christophe Rouillon : "on peut gagner de l'argent grâce à de bonnes mises en concurrence"