CE : un nouveau recours pour mettre fin à l’exécution du contrat

  • 05/07/2017
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Le Conseil d’Etat vient d’ouvrir au tiers une nouvelle voie de recours dans une décision rendue fin juin. Ainsi, tout tiers susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine peut saisir le juge du contrat d’un recours tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du marché.

Le Conseil d’Etat poursuit son œuvre de recomposition des voies de recours des tiers contre le contrat administratif. En 2014, il a ouvert aux tiers la possibilité de contester la validité d'un contrat devant le juge du contrat et ainsi fermé le recours en excès de pouvoir (REP) contre  les actes détachables et antérieurs à la conclusion du contrat. Depuis le 30 juin 2017, le tiers peut demander directement au juge du contrat, via le recours de plein contentieux, qu’il soit mis fin à l’exécution du marché. La haute juridiction est ainsi revenue sur la jurisprudence LIC de 1964, qui obligeait tout tiers souhaitant contester la décision de refus de résilier un contrat à saisir le juge de l’excès de pouvoir. Mais pas question de faire n’importe quoi. Dans sa décision, le CE a pris soin d’encadrer cette nouvelle voie de recours. Commençons par l’intérêt à agir. Pour agir, le tiers doit être « susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat. » D’autres tiers peuvent également agir lorsqu’est en cause un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales. Tel est le cas du représentant de l’Etat dans le département. S’agissant des membres de l’assemblée délibérante, le rapporteur public, Gilles Pellissier, avait émis quelques doutes sur la possibilité pour eux de saisir le juge du contrat. Le CE n’en a pas tenu compte et a ouvert la voie de recours aux « membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné. »

Des moyens en rapport avec l’intérêt lésé

Dans sa décision, la haute juridiction a également encadré les moyens susceptibles d’être développés par le requérant. Ne pourront ainsi être invoqués que trois catégories de moyens. Ceux tirés « de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours » ; « de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office » et enfin des moyens tirés « de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général. »

Ces moyens, ajoute le CE, doivent être « en rapport direct avec l'intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut. »

Le requérant peut ainsi se prévaloir d’inexécutions d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l'intérêt général. Et c’est tout. En revanche, pas question de se prévaloir d’irrégularités tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. Ces moyens, ajoute le CE, doivent être « en rapport direct avec l'intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut. » Cette exigence ne s’applique pas, en revanche, lorsqu’ils sont soulevés par le représentant de l'Etat dans le département ou par les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales et ce « compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge. » Pour ordonner qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le juge doit vérifier que les moyens soulevés sont de nature à justifier la demande et que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

Pas d'intérêt lésé

En l’espèce, le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT) avait conclu, fin novembre 2006, une délégation de service public avec la société Louis Dreyfus Armateurs SAS pour l'exploitation, au moyen de deux navires, de la liaison maritime Dieppe-Newhaven. Les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group LTD, qui exploitent le tunnel sous la Manche, avaient demandé, en novembre 2010, au SMPAT de prononcer la résiliation de ce contrat. Devant le refus du syndicat, elles avaient saisi le tribunal administratif de Rouen qui avait refusé de faire droit à leur demande. En appel, la cour administrative avait jugé que les sociétés avaient intérêt à agir contre le refus de résiliation, compte tenu de la situation de concurrence existant entre la liaison transmanche, objet de la convention en litige, et l'exploitation du tunnel sous la Manche. Le Conseil d’Etat censure la cour. Selon lui, elle a commis une erreur de droit en ne recherchant pas « si la poursuite de l'exécution de la convention du 29 novembre 2006 était de nature à léser les intérêts de ces sociétés de façon suffisamment directe et certaine. » Jugeant l’affaire au fond, les sages du Palais royal rejettent la demande des sociétés pour défaut d’intérêt à agir. Leur seule qualité de concurrent direct sur les liaisons transmanche de courte durée ne suffit pas, pour le CE, « à justifier qu'elles seraient susceptibles d'être lésées dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l'exécution du contrat conclu le 29 novembre 2006. » De plus, ajoute-t-il, « , les moyens tirés d'illégalités de la procédure de passation du contrat qu'elles soulèvent à l'appui de leur demande d'annulation de la décision litigieuse, ne peuvent, comme tels, être invoqués à l'encontre du refus de mettre fin à l'exécution du contrat et sont dès lors inopérants. »