Erreur de bordereau de prix = offre irrégulière ?

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L’offre d’un candidat a été écartée au motif qu’elle était irrégulière, en raison de la communication d’un bordereau de prix "caduc". Le juge a d'abord examiné si cette erreur entraînait de facto le rejet de la proposition, avant, ensuite, d'aborder la faculté d’une régularisation par l’acheteur.

Une offre est-elle irrégulière si le candidat remet un bordereau de prix "caduc" ? Le Conseil d’Etat, à l’occasion d’un contentieux, a dû répondre à cette question. En l’espèce, le département de Corse du Sud avait lancé une procédure d’appel d’offres pour une opération de travaux. Elle avait écarté un pli au motif que la société n’avait pas utilisé le bordereau en vigueur. En effet, la collectivité avait modifié, au cours de la consultation, le document. La candidate a alors déposé une requête devant le juge du référé précontractuel. Elle a fait valoir que le montant de sa proposition était, malgré ce manquement, calculé sur la base du bordereau modificatif. La décision de rejet a été annulée par le tribunal administratif (TA) de Bastia. Le département s’est alors pourvu en cassation.

Irrégularité en raison d'une erreur rédhibitoire 

          
La règle est simple : une offre ne respectant pas les exigences formulées dans les documents de la consultation est irrégulière car elle est incomplète (article 59 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016). Toutefois, elle n’est pas absolue. Gilles Pellissier, rapporteur public devant la haute juridiction a mentionné en exemple l’arrêt société Hexagone : « L’absence, dans l'enveloppe contenant l'offre d'une entreprise, d'une pièce exigée par le pouvoir adjudicateur à l'appui des offres, ne justifie pas à elle seule l'élimination de cette offre dès lors que la pièce a bien été produite mais a été incluse par erreur au sein de l'enveloppe relative à la candidature de l'entreprise » (CE, 7 novembre 2008, n° 292570). L’erreur ne doit pas être rédhibitoire, c’est-à-dire qu'elle ne doit avoir aucune conséquence sur le contenu de la proposition, a rappelé le rapporteur public lors de la lecture de ses conclusions.

La seule circonstance de l’utilisation d’un bordereau initial : « n’était pas de nature, à elle seule, à pouvoir faire regarder son offre comme irrégulière »

Dans la présente affaire, le TA s'est fondé sur le détail estimatif des prix remis par la société évincée pour constater que les prestations intégrées ultérieurement dans le bordereau ont bien été prises en compte. La seule circonstance de l’utilisation d’un bordereau initial : « n’était pas de nature, à elle seule, à pouvoir faire regarder son offre comme irrégulière », a certifié le juge du référé. Les sages du Palais Royal l’ont suivi.   

Possibilité d’éclaircir une offre en régularisant


Le TA va plus loin en critiquant l’habitude de la collectivité. Cette dernière n’a pas usé de ses pouvoirs. « Le département aurait pu lever toute éventuelle ambiguïté en lui demandant une régularisation sur ce point » a déclaré le magistrat.

« Le département aurait pu lever toute éventuelle ambiguïté en lui demandant une régularisation sur ce point »

Ce processus reste donc ouvert dans le cadre d’un éclaircissement même s’il n’existe pas d’irrégularité. L’arrêt du Conseil d’Etat reprend mot pour mot l’ordonnance. Le rapporteur public avait profité de ce litige pour rafraîchir les deux principes suivants. Primo, l’acheteur n’est pas contraint de régulariser (disposition 59 du décret précité), comme l’ont confirmé récemment les sages (CE, 21 mars 2018, Département des Bouches-du-Rhône, n°415929). Dans ses moyens, le département avait néanmoins expliqué pourquoi il n’avait pas recouru à cette technique, en mettant en avant la conformité des autres plis. Le TA a considéré ce fait comme étant sans impact. D’autant que cette ouverture à la régularisation, depuis la réforme, tend à faciliter l’accès des microstructures à la commande publique (cf notre article en lien). Deuzio, il n’existe pas d’obstacle pour rectifier « une erreur purement matérielle, d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue », avait souligné Gilles Pellissier, en référence à l’arrêt département des Hauts-de-Seine (CE, 21 septembre 2011, n° 349149. Cf  le second article consacré aux limites de ce procédé en lien en bas de page et publié en septembre 2017 dans nos colonnes).
 
La collectivité a tenté également de justifier l’irrégularité du pli, en invoquant l’absence du plan de phasage (pièce exigée dans le règlement de la consultation). Or, le dossier technique de la candidate comportait un document intitulé « plans de signalisation » dont les éléments permettaient justement d’évaluer la pertinence du phasage. Cet argument a donc laissé de marbre les différents juges. Toutefois, la candidate a-t-elle était lésée ? Selon le TA, il n’existe aucun doute car le prix de la prestation était inférieur à celui de l’attributaire. Le Conseil d’Etat ne s'est pas prononcé sur ce point. Il a rejeté simplement le pourvoi.