DGD tacite : conditions pour déclencher le délai de carence

partager :

L’adoption d’un DGD dit tacite, c’est-à-dire sans une acceptation expresse du maître d’ouvrage, est une nouveauté de l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant le CCAG Travaux, entré en vigueur un mois après. L’objectif de cette mesure était notamment d’accélérer le paiement des entrepreneurs. Le Conseil d'Etat va (enfin) avoir l’occasion, dans le cadre d’un contentieux, de se pencher sur les conditions pour qu’un projet de décompte soit regardé comme tacitement accepté.

Le Conseil d’Etat va pour la première fois s’intéresser au décompte général définitif (DGD) dit tacite. Cette mesure apparue à la suite d’un arrêté du 3 mars 2014, entré en vigueur un mois après, n’avait suscité jusqu’alors de contentieux en cassation. Un article avait été publié à l’époque, dans nos colonnes, pour mettre en avant les nouveautés et les points de vigilance de cette réforme (lien en bas de page). Pour mémoire, l’article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés de travaux prévoit que  « si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au [représentant], avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé… Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le [représentant] notifie le décompte général au titulaire… [Si le représentant] n'a pas notifié…, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif ». S’agissant du présent litige, la communauté de communes de l’île de Noirmoutier a conclu en août 2014 un marché portant sur une opération de renforcement de digues. Les travaux ont été réceptionnés, le 15 avril 2015, sans réserves. Le 31 juillet, l’entrepreneur a transmis, uniquement au maître d’ouvrage, son projet accompagné d’un mémoire de réclamation pour une demande de rémunération complémentaire s’élevant environ à 135 000 euros HT. L’intercommunalité a rejeté la réclamation trois semaines après. D’après la société, le projet de décompte était, entre temps, devenu définitif. Elle a saisi le juge des référés provision. Mais sa requête fut rejetée aussi bien par le tribunal administratif de Nantes que par la cour administrative d’appel (CAA) car les manquements commis par la société, à savoir le retard de l’envoi du projet et l’absence de copie à la maîtrise d’œuvre, n’auraient pas déclenché les délais de l’acceptation tacite du décompte. Elle s’est donc pourvue en cassation.

Le retard de l’envoi du décompte par le titulaire serait sans incidence sur le déclenchement du délai


Il ressort des faits que l’entrepreneur n’a visiblement pas communiqué son projet de décompte final dans le délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux, exigence issue de l’article 13.3.2 du CCAG.

« Il semblerait excessivement rigoureux de juger que si le titulaire ne transmet pas son projet de décompte final dans le délai… il ne peut plus se prévaloir des délais subséquents ni des effets qui y sont attachés...»

Selon Gilles Pellissier, rapporteur public devant la Haute juridiction, il « semblerait excessivement rigoureux de juger que si le titulaire ne transmet pas son projet de décompte final dans le délai… il ne peut plus se prévaloir des délais subséquents ni des effets qui y sont attachés. Cela aboutirait, sinon à faire perdre au titulaire tout droit à l’établissement du décompte et donc au paiement des prestations qu’il a effectuées, du moins à le laisser entièrement à la merci du temps que le pouvoir adjudicateur prendra pour lui répondre, à supposer qu’il le fasse ». De surcroît, l’article 13.3.4 envisage justement ce cas de figure. Le maître d'oeuvre a la possibilité d'établir d'office le décompte final aux frais du titulaire à la condition d'avoir fait préalablement une mise en demeure et que cette dernière soit restée sans effet. Le rapporteur public remet une couche en évoquant également l’hypothèse d’une absence d’une mise en demeure. Il se réfère à la jurisprudence Me Hervouet (CE, 25 juin 2004, n°228528) : « le litige entre les deux parties [peut] être porté directement devant le juge… Le titulaire même défaillant… dispose d’une voie de droit pour obtenir le règlement du différend ».

Le délai de carence se déclenche dès la transmission du décompte au maître d’ouvrage et maître d’oeuvre


En revanche, le second manquement de l’entrepreneur lui serait préjudiciable. En effet, le point de départ du délai de carence (nom donné par Gilles Pellissier) du pouvoir adjudicateur débute à la date la plus tardive des deux dates de transmission (au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre), comme l’a expliqué le rapporteur public. Par conséquent, « dès lors que le délai court à compter de la plus tardive des deux dates d’expiration de délais, si l’un des délais n’est pas expiré faute d’être parti, le délai subséquent ne peut jamais expirer », renchérit Gilles Pellissier. D’autant que le Conseil d’Etat dans sa décision Société DV construction avait déclaré : « Est rejetée sans dénaturation ni erreur de droit par les juges du fond la demande de condamnation du maître de l'ouvrage au paiement de sommes relatives à des travaux supplémentaires et à des retards du chantier lorsque l'entreprise n'établit pas avoir adressé au maître d'œuvre ses réserves alors même qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a saisi le maître de l'ouvrage » (CE, 8 avril 2009, n°297756). Cependant, en l’espèce, le maître d’œuvre a été informé du projet de décompte final par le pouvoir adjudicateur. Pour Gilles Pellissier, cette circonstance ne serait pas de nature à changer l’issu du verdict.

« En cas de transmission de la demande au maître d’œuvre par le maître d’ouvrage, le titulaire n’aura pas connaissance de la date de cette réception et ne pourra donc décompter les délais »

L’entrepreneur doit être en capacité de calculer lui-même le délai de carence du pouvoir adjudicateur. De facto, « en cas de transmission de la demande au maître d’œuvre par le maître d’ouvrage, le titulaire n’aura pas connaissance de la date de cette réception et ne pourra donc décompter les délais », a conclu le rapporteur public. Il demande ainsi d'une part la neutralisation du motif de l'arrêt de la CAA lié à la tardiveté de la transmission et d'autre part le rejet du pourvoi.