PPP marseillais : une sardine à un milliard

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Hier, le tribunal administratif de Marseille a examiné quatre recours qui ne pèsent pas moins d’un milliard ! En cause, la décision de la ville phocéenne de faire appel à un marché de partenariat plutôt qu’assurer elle-même la maîtrise d’ouvrage pour la rénovation et la construction de 34 groupes scolaires. La lecture est fixée au 12 février, mais les conclusions du rapporteur public préfigurent clairement la décision qui sera rendue.

Avocat honoraire, Christian Bruschi est membre du collectif Marseille contre les PPP. S’il se qualifie de simple citoyen contribuable, il a sérieusement planché sur le recours qu’il a déposé devant le tribunal administratif de Marseille avec Gérard Perrier et Alain Beitone, tous deux enseignants à la retraite. Mais les recours sont multipliés au point qu’il y a eu jonction d’instances avec ceux déposés par l’Ordre des architectes au niveau national, l’Ordre des architectes de la région Sud, ainsi que par le Syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône.

Le maire a aussi justifié le recours au partenariat par le manque de moyens dont disposerait la ville pour assurer la maîtrise d’ouvrage. C’est sympa pour les collègues !

Le tout avec la bénédiction du collectif qui regroupe des organisations que l’on n’aurait jamais imaginé avancer sous la même bannière, de la Capeb (confédération patronale de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment) à la CGT, en passant par la CNT (Confédération Nationale du Travail qui se présente comme “syndicat de lutte des classes”) ou la Cinov (fédération patronale des syndicats des métiers de la prestation intellectuelle, du conseil, de l’ingénierie et du numérique) pour ne citer qu’eux. Autant dire que s’il y a un sujet qui fait l’unanimité sur le Vieux Port, c’est bien celui-ci : « Finalement, pour la fin de son mandat, Gaudin aura réussi à faire consensus », lâche dans un grand sourire un agent de la ville en marge de l’audience d’hier. Car même s’ils préfèrent marcher à couvert, certains cadres sont inquiets : « Cette ambiance de fin de règne, ce “après moi le déluge”, sont d’autant plus stressants que le maire a aussi justifié le recours au partenariat par le manque de moyens dont disposerait la ville pour assurer la maîtrise d’ouvrage. C’est sympa pour les collègues ! »

Les écoles ne sont pas un stade de foot !



christian_bruschi_retaille.jpgChristian Bruschi (en photo) résume bien l’affaire : « Tous sont opposés au PPP monté par Jean-Claude Gaudin, un partenariat qui pourrait nous coûter un milliard d’euros sur vingt-cinq ans, alors qu’une maîtrise d’ouvrage publique nous aurait permis d’économiser 8,91% ». Si le chiffrage avancé par Christian Bruschi est aussi précis, c’est qu’il s’appuie sur les données statistiques que Jean-Claude Gaudin conteste, estimant quant à lui qu’un PPP permettra au contraire d’économiser 5,67% si l’on y intègre le facteur risques. Le maire de Marseille s’appuie en effet sur les travaux de Fin Infra (ex Mission d’appui aux PPP) mise sur pied par Bercy : « Il y a tout de même un petit problème, souligne malicieusement Christian Bruschi, c’est que la Mission explique elle-même qu’il faut utiliser avec les plus grandes réserves les modélisations reprises dans son guide ».

Un partenariat qui pourrait nous coûter un milliard d’euros sur vingt-cinq ans, alors qu’une maîtrise d’ouvrage publique nous aurait permis d’économiser 8,91%

En effet, à Bercy, sous couvert d’anonymat, on a révélé à Christian Bruschi que Fin Infra n’a pas disposé de l’intégralité des statistiques établies par les compagnies d’assurance pour chiffrer exactement le facteur risques sur lequel s’appuie le maire de Marseille pour justifier son choix. C’est d’ailleurs sur le principe même du choix du partenariat que s’appuie le recours examiné par le TA hier, et non sur le marché lui-même. Une stratégie payante montée par Christian Bruschi : « Dans ce genre de recours le risque est toujours le même, plaide-t-il, c’est se faire retoquer au principe de l’absence d’intérêt pour agir ». C’est bien pour échapper à ce couperet qu’il a préféré déposer un recours contre le principe même de privilégier les PPP : « Dans notre cas, explique-t-il, le rapporteur ne nous a pas opposé l’absence d’intérêt pour agir. C’est la décision même prise par le conseil municipal en octobre 2017 que nous avons contestée ».

La simulation de Monte-Carlo



photo_jean-marc_coppola.jpgAncien vice-président du conseil régional, conseiller municipal d’opposition, Jean-Marc Coppola (photo ci-contre) n’y va pas par quatre chemins : « Les écoles ne sont pas un stade de foot, en voulant dupliquer l’opération du Vélodrome Jean-Claude Gaudin confond le service public et les intérêts des grands groupes comme Vinci, Bouygues ou Eiffage ! », et d’ajouter : « On a voulu nous enfumer ! Nous n’avons eu que quatre jours pour prendre connaissance du rapport et des annexes qui totalisaient pas moins de… 206 pages ! Quant à l’avis du comité technique, nous ne l’avons jamais vu !  ». La pétition qu’a lancé l’opposant communiste avec son collègue Benoît Payan a recueilli près de 12 000 signatures, donc même si le rapporteur n’avait pas sonné le glas du partenariat, le sujet devait de toute façon être à nouveau évoqué en conseil municipal : « Notre objectif est atteint, nous avons mobilisé aussi bien les chefs d’entreprises du bâtiment que les syndicats, ce qui est du jamais vu à Marseille ! ».

L’estimation de la ville, c’est un peu la simulation de Monte-Carlo. Cette évaluation n'a aucun caractère probant

Il convient désormais d’attendre la décision des juges administratifs, mais l’analyse du rapporteur Lison Riguaud ne laisse pas place au doute, préfigurant la décision que devraient prendre les juges marseillais : « Cela fait un siècle et demi que les écoles sont de la compétence des communes ! » déclarait-elle en préambule. Autant dire qu’avant même la lecture de ses conclusions, l’affaire sentait le roussi pour la ville, d’autant qu’elle enfonçait le clou quelques instants plus tard d’une façon magistrale : « L’estimation de la ville, c’est un peu la simulation de Monte-Carlo, lançait-elle en référence aux jeux de hasard, cette évaluation n’a aucun caractère probant ». Pour la magistrate marseillaise, tous les postes sont sous-évalués. La cause semble d’autant plus entendue que la demande de supplément d’instruction déposée par Me Nicolas Charrel, l’avocat de la ville, a été rejetée par la présidente. Si le rapporteur est suivi, la ville devra revoir sa copie.