[Au plus près des TA...] Les accords-cadres sans maximum : les contentieux inédits de l’été

partager :

Maître Nicolas Lafay, dans cette nouvelle chronique, examine à la loupe trois contentieux devant les tribunaux administratifs qui portent sur des accords-cadres sans maximum. Il finit avec une affaire dont le litige porte sur la méthode de notation du critère prix d’un bordereau des prix unitaires…

Le désormais célèbre arrêt "Simonsen Weel" de la CJUE du 17 juin dernier (aff. C.623/20) a fait l’effet d’une bombe en droit interne de la commande publique. Le gouvernement a pris en urgence, le 23 août 2021, un décret n° 2021-1111 qui supprime la possibilité de conclure des accords-cadres sans maximum, mais uniquement à compter du 1er janvier 2022. Inévitablement, les premières ordonnances de référé précontractuel sur les procédures de passation en cours ont également été rendues par les tribunaux administratifs. C’est ainsi que les tribunaux administratifs de Bordeaux, Lille et Paris se sont prononcés sur cette question au milieu de l’été.

 

 NDLR : consultez notre dossier "Accord-cadre : sans minimum, sans maximum… mais aussi sans limites ?"

Interdiction immédiate de faire des accords-cadres sans maximum

 

Dans son ordonnance, le tribunal administratif de Bordeaux a tout d’abord rappelé la position de la CJUE, selon laquelle un accord-cadre doit indiquer dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges une valeur ou une quantité maximale pour la durée de l’accord-cadre ainsi que pour chacun de ses lots. Puis il a constaté que ni le CCT,P ni aucune autre pièce du marché, ne mentionnait la quantité ou la valeur maximale des produits à fournir dans le cadre du lot n°1 de l’accord-cadre en litige.
Ce manque d’information a, selon lui, empêché la société de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pouvait être amenée à répondre, et ce même si elle était précédemment titulaire du marché. Il rappelle enfin que « l’arrêt de la CJUE n’a pas limité dans le temps la portée de l’interprétation donnée par elle, ce qui exclut la possibilité pour le juge des référés de différer son application, fusse pour des motifs de sécurité juridique ». Autrement dit, cette solution s’applique y compris aux procédures en cours, lancées avant même l’arrêt de la CJUE.
 

La CJUE n’a pas limité dans le temps la portée de son interprétation donnée , ce qui exclut la possibilité pour le juge des référés de différer son application, fusse pour des motifs de sécurité juridique

Le tribunal administratif de Lille a, quant à lui, précisé que la solution de la CJUE s’appliquait immédiatement et même après la parution du décret du 23 août précité. Il juge en effet qu’« un accord-cadre doit indiquer une valeur ou une quantité maximale dans le cadre la procédure de passation du marché public, un tel principe étant applicable en l’espèce nonobstant la circonstance que le décret du 23 août 2021 modifiant les dispositions du code de la commande publique relatives aux accords-cadres et intervenu notamment afin de tirer les conséquences de la décision précitée de la CJUE n’a prévu l’entrée en vigueur des dispositions de son article 2 portant suppression de la possibilité de conclure un accord-cadre sans mention d’une valeur maximale qu’à compter du 1er janvier 2022 ».
Appliquant ce principe à la procédure qui lui était soumise, le juge lillois indique que l’irrégularité tenant à l’absence de mention de la valeur maximale de l’accord-cadre a été de nature à léser la société requérante dès lors qu’elle n’a pu présenter une offre adaptée financièrement et techniquement aux prestations maximales auxquelles elle pouvait être amenée à répondre et donc influer sur le contenu de celle-ci « sans que le préfet et le groupement attributaire ne puissent utilement faire valoir sur ce point que la société requérante n’a adressé à l’administration aucune question dans le cadre de la procédure de passation ni se prévaloir de la circonstance que la société requérante était la société attributaire du précédent marché ».

Il est donc absolument impératif que les acheteurs fixent dès à présent, et sans attendre le 1er janvier 2022, un maximum à leurs accords-cadres, puisque le décret du 23 août est écarté au profit de l’application immédiate (et par définition rétroactive) de la jurisprudence de la CJUE.
 

 

Recherche de la lésion


Les acheteurs dont les procédures sont déjà lancées sans maximum pourront néanmoins tenter de faire valoir l’absence de lésion d’un tel manquement, comme l’a jugé le tribunal administratif de Paris. Ce dernier a en effet refusé d’annuler une procédure de passation d’un accord-cadre sans maximum, au motif que ce manquement, incontestable, n’avait pourtant pas lésé le requérant. Selon le tribunal, la société n’avait en effet pas interrogé le pouvoir adjudicateur en cours de procédure sur ce point, et disposait de suffisamment d’informations dans les pièces du marché pour lui permettre d’évaluer le montant du marché estimé sur 4 ans. Il est vrai toutefois que dans cette espèce, la candidature de la société requérante était irrégulière, de sorte que l’absence de lésion au stade des offres était, en tout état de cause, compréhensible, ce qui relativise la portée de cette décision…
Toujours est-il qu’en l’état, et compte tenu de ces décisions contradictoires, il est très vivement conseillé aux acheteurs d’anticiper le 1er janvier 2022 et de fixer dès aujourd’hui un maximum en valeur ou en quantité à leurs accords-cadres.
 

Une méthode de notation du critère prix d’un BPU contestable


Depuis l’arrêt du Conseil d'Etat "Commune de Perpignan" du 13 novembre 2020  (req. n° 439525) dès lors que le marché est à prix unitaire et que les unités correspondent à des éléments différents, la méthode de notation consistant à additionner simplement les prix unitaires pour déterminer l’offre la moins chère est illégale.
L’ordonnance du Tribunal administratif de Dijon rendue ce mois-ci offre une belle illustration de l’utilisation cette méthode de notation illégale et de ses conséquences. Pour juger du critère prix, les candidats devaient remettre un BPU et un « devis test », qui était toutefois strictement identique au BPU, la somme de ces prix servant à la notation des offres financières.

Pour le juge, en se bornant à additionner l’ensemble des prix unitaires, l’acheteur n’a pas tenu compte des quantités prévisionnelles de chaque prestation, ni plus généralement des écarts quantitatifs prévisibles entre chaque item du bordereau, alors même que les écarts de prix unitaires entre ces différents types d’items étaient très significatifs. Cette méthode a donc eu pour conséquence de renforcer l’importance relative des prix unitaires les plus élevés dans la notation du prix, de ne pas classer les offres en fonction des conditions raisonnablement prévisibles d’exécution du marché ni, par conséquent, de retenir l’offre économiquement la plus avantageuse.
Le juge annule donc la procédure en faisant preuve d’une position (trop rare) de bons sens sur la notion de lésion potentielle : « s’il n’est pas établi que la mise en œuvre d’une méthode de notation adaptée aux besoins prévisibles de la région aurait nécessairement inversé le classement des offres sur le critère du prix, elle était susceptible de conduire, par l’attribution d’un nombre de points différents sur ce critère, tant à la société requérante qu’aux sociétés attributaires, à une modification du classement de l’ensemble des offres ».


Retrouvez ci-dessous les ordonnances citées : 
TA Bordeaux 23 août 2021 Société COVED
TA Dijon 16 août 2021 SARL Nicoletta Bon
TA Lille 27 août 2021 SELARL Centaure Avocats
- TA Paris 9 août 2021 Société Moongroup