Le TA de Nantes valide une clause Molière

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Contre toute attente, le juge du référé vient de valider une clause Molière mise en place par la région Pays de la Loire. Le TA considère qu’il n’y a pas eu de discrimination, ni de clauses disproportionnées, compte tenu du double objectif de protection sociale des salariés et de sécurité des travailleurs sur le chantier souhaité par la collectivité. La région a fait dans la subtilité : sa clause Molière est une clause « d’interprétariat » qui ne correspond pas à celle visée par l’instruction ministérielle… Les explications de Nicolas Raïsky, le directeur de la commande publique régionale, et des avocats.

Rien n’était joué d’avance et la préfecture plutôt confiante sur l’issue de son déféré contre la clause d’interprétariat introduite par les Pays de la Loire pour un marché de travaux de mise en accessibilité handicaps et réfection des cours du lycée Ambroise Paré à Laval (Mayenne). Mais l’allongement inhabituel du délai pris par le juge pour rendre sa décision a donné de l’espoir à Nicolas Raïsky, le directeur de la commande publique de la région, et aux avocats qui ont défendu la collectivité, Clément Gourdain et Frédéric Marchand. Tous ont senti, dans cet atermoiement, une potentielle divergence de point de vue avec la position des représentants de l’Etat.

Le juge a estimé que, si cette clause n’est pas « neutre sur la formation des offres », elle trouve à s’appliquer sans discrimination, même indirecte

De fait, après un mois entier de réflexion, le TA de Nantes a donné raison au conseil régional, contre la préfète des Pays de la Loire et de Loire-Atlantique. Le magistrat a considéré, en effet, qu’il ne résulte pas de l’instruction des clauses introduites par la collectivité qu’elles apparaissent  « disproportionnées », au regard des dispositions de l’article 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 invoquées, « compte tenu du double objectif de protection sociale des salariés et de sécurité des travailleurs et visiteurs sur le chantier » demandé par le maître d’ouvrage pour faire réaliser les travaux. Le juge a estimé que, si cette clause n’est pas « neutre sur la formation des offres », elle trouve à s’appliquer sans discrimination, même indirecte, à toutes les entreprises soumissionnaires, quelle que soit la nationalité des personnels présents sur le chantier.

L’obligation de savoir parler français volontairement écartée

nicolas_raisky_legende.jpgEt pour cause. La région, aidée par le cabinet Cornet Vincent Segurel, a fait preuve d’une grande adresse et finesse rédactionnelle pour éviter toute atteinte à la liberté d’accès à la commande publique. Sa clause n’est pas une clause Molière, telle qu’on la connaît, mais une clause d’interprétariat, non générale. Le cahier des charges du marché en question exige des candidats de recourir à un interprète qualifié, si les personnels du chantier ne disposent pas d’une maîtrise suffisante  de la langue française pour comprendre la réglementation sociale de la France et le code du travail : « Nous avons très volontairement écarté l’obligation de savoir parler français pour se focaliser sur la connaissance par les travailleurs détachés de leurs droits, explique Nicolas Raïsky.

Notre clause ne s’oppose pas à la possibilité de faire travailler des travailleurs détachés, elle leur demande d’être capables de comprendre leurs droits et les consignes de sécurité du chantier

Notre clause ne s’oppose pas à la possibilité de faire travailler des travailleurs détachés, elle leur demande d’être capables de comprendre leurs droits et les consignes de sécurité du chantier, poursuit-il. Pendant l’audience, nous avons expliqué au juge - et il y a été sensible - que nous savons que la clause d’interprétariat induit un surcoût pour le titulaire. Mais ce surcoût n’est pas démesuré par rapport au montant du chantier et l’entreprise est libre de sélectionner son interprète. En outre, ce surcoût est bien inférieur à la différence de montant de charges sociales que règle une entreprise faisant appel à des travailleurs étrangers par rapport à une entreprise soumise aux règles du système social français. Notre but, c’est de lutter contre le dumping social, affirme le directeur. La demande d’interprète contribue à contrebalancer un peu la forte compétitivité des offres des entreprises employant des travailleurs détachés payés selon la législation de leur pays d’origine », développe-t-il.

Une clause graduée, non générale

« La région a fait le choix d’une clause graduée, complètent  Clément Gourdain et Frédéric Marchand, c’est-à-dire que la collectivité a gradué les obligations - maîtrise de la langue française et recours à un interprète -  propres à chaque entreprise  en fonction de deux intérêts : la sécurité publique et la protection sociale. Cette clause a été rédigée afin d’assurer la conformité et la cohérence au droit de l’Union européenne sur la libre circulation des personnes. » S’agissant de la sécurité publique, elle ne touche que le personnel potentiellement à risque.

La Région souhaite contribuer à la stabilité juridique du système et serait intéressée que le ministère se pourvoit en cassation

« Mais, font remarquer les deux avocats, la sécurité sur un chantier concerne beaucoup de monde : celui qui manie des câbles électriques, mais aussi le peintre qui travaille avec un ouvrier effectuant des tâches risquées. C’est donc l’interaction avec les différents intervenants qui nécessite une maîtrise de la langue française. A défaut de maîtrise, l’entreprise se doit de recourir à un interprète, avancent-ils. S’agissant du respect du code du travail et des droits sociaux des travailleurs, elle étend l’obligation d’affichage de la législation sur les gros chantiers (plus de 10 000 heures), introduite par la Loi El Khomri, à tous les chantiers, ce qui est une avancée », commentent Clément Gourdain et Frédéric Marchand. « Le juge a ouvert la porte à l’idée qu’une personne publique peut renforcer la loi sur la protection des travailleurs détachés et qu’il existe des moyens juridiques d’affiner les dispositions européennes en la matière, analyse Nicolas Raïsky. La région souhaite contribuer à la stabilité juridique du système et serait intéressée que le ministère se pourvoit en cassation afin que le conseil d’Etat se prononce sur le sujet », conclut-il. Interrogée, la préfecture n’a pas souhaité faire de commentaire sur cette décision.