Passer un bon de commande avec le candidat pressenti le temps d’un référé ?

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Afin d’assurer la continuité du service de collecte des déchets le temps de conclure le nouveau marché, un acheteur a préféré passer un bon de commande avec le candidat pressenti au lieu de réaliser un avenant avec le prestataire sortant. Un contentieux a donc éclaté. D’autant que la raison de cette discontinuité des contrats résulte d’un référé précontractuel à l’encontre de la passation renouvelant la prestation. Le précédent marché terminé et l’acheteur ne pouvant plus signer le contrat, il ne pouvait réaliser un enchaînement des actes sans interruption.

Une rupture d’un service public à cause d’une discontinuité entre les marchés précédent et futur est l’épouvantail des directions chargées de la commande publique. Si les contrats ne peuvent se succéder sans interruption, les acheteurs sont confrontés à un véritable casse-tête juridique afin de faire perdurer le service durant cet intervalle. La solution choisie par la communauté d’agglomération Lubéron Monts de Vaucluse a récemment suscité un contentieux devant le tribunal administratif (TA) de Nîmes. En l’espèce, l’intercommunalité avait lancé un appel d’offre dans le but de renouveler la prestation de collecte des ordures ménagères. Le prestataire sortant, dont l'offre cette fois-ci avait été rejetée, a fait un recours en référé précontractuel le 14 février 2018 pour annuler la procédure. La communauté s’est alors retrouvée dans cette situation : un marché arrivant à son terme dans une quinzaine de jours et une nouvelle convention ne pouvant être signée en raison de cette action en justice. L’établissement a donc décidé de passer avec le candidat pressenti, deux jours après le dépôt de la requête, un bon de commande s’élevant à 17 724 euros couvrant la période du mois de mars. Le requérant, informé (officieusement) de la passation d’un tel acte, a saisi, le 26 février, le juge du référé contractuel. Pour le prestataire sortant, un marché a été conclu sur le fondement de l’article 30 du décret du 25 mars 2016. Il a constaté un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence du fait d’un « recours abusif à l’achat sans formalité ». De surcroît, Maître Eric Lanzarone, le défenseur, considère que ce procédé est un détournement de la règle du délai de suspension de la signature du contrat pendant le procès.

Un référé n'est pas imprévisible

    
D’après Maître Sylvie Laridan (photo ci-dessous), avocate de la société cocontractante du bon litigieux, la présente affaire ne devrait pas être examinée en fonction des maitre_laridan.jpgdispositions du décret précité mais plutôt être appréhendée par rapport à la problématique suivante : celle d’assurer la continuité du service public. Elle se prévaut de la jurisprudence Communauté du centre d’agglomération de la Martinique (CCAM), même si elle ne concerne pas les marchés, où le Conseil d’Etat avait déclaré que « la personne publique peut, lorsque l'exige un motif d'intérêt général tenant à la continuité du service public, conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de délégation de service public sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites… » (CE, 4 avril 2016, n°396191). Cependant, l’hypothèse soulevée par l’avocate n’a pas été entendue.

De son côté, l’avocat de la communauté a invoqué, dans son moyen, la notion d’urgence. Cet argument n’a pas été retenu par le TA. La réponse du juge est claire : « une telle circonstance ne saurait être regardée comme une urgence impérieuse… l’introduction d’un référé précontractuel n’étant nullement imprévisible ».

Une telle circonstance ne saurait être regardée comme une urgence impérieuse… l’introduction d’un référé précontractuel n’étant nullement imprévisible

 Les acheteurs doivent inclure dans leur rétro-planning les délais en cas de contentieux, conseille Maître Eric Lanzarone. Ensuite, les parties en défense ont mis en avant le coût dérisoire du bon de commande. Là encore, le magistrat n’a pas été convaincu. « Le marché en cause… n’avait d’autre fin que d’assurer la continuité des prestations de service… dans l’attente de la signature du nouveau marché passé après appel d’offres. Le besoin satisfait s’inscrivait, de ce fait, dans le cadre d’un besoin récurrent d’un montant annuel supérieur à 25 000 euros » a reconnu le TA. Jacques Fournier de Laurière, président honoraire à la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris, est d’accord avec la juridiction. « L’article 30 ne peut être utilisé pour passer un marché dans l’attente d’un renouvellement de contrat car cela ne concerne pas un besoin circonstancié, défini et ponctuel qui se limiterait à 25 000 euros », certifie-t-il. A noter que le juge n’a pas recherché si le prestataire sortant était lésé. A la lecture de l’article L. 551-18 du code de justice administrative, la nullité serait automatique : « lorsqu’aucune mesures de publicité requises… n’a été prise », prévient Maître Eric Lanzarone.

Privilégier les avenants


Le TA renchérit en donnant la solution qui aurait dû être suivie par le pouvoir adjudicateur : « Il était, au demeurant, loisible à la communauté d’agglomération de prolonger par avenant le contrat portant sur les mêmes prestations ».

Un avenant de prolongation pour motif d’intérêt général est possible

 D’autant qu’un avenant de prolongation pour motif d’intérêt général est possible lorsqu’il est nécessaire d’assurer la continuité d’un service public, insiste Jacques Fournier de Laurière, en se référant à l’arrêt Commune Ramatuelle (CE, 8 juin 2005, n°255987). « Le juge impose ainsi à l’acheteur de contracter avec l’ancien titulaire » en déduit Maître Sylvie Laridan. D’après le président honoraire de la CAA, ce principe pourrait être écarté en cas d’urgence « résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même » ; par exemple à la suite d’une résiliation pour faute. Les dérogations aux règles de mise en concurrence, autorisée par la décision CCAM, restent néanmoins exceptionnelles comme l’avait souligné le rapporteur public à l’occasion du contentieux relatif à l’exploitation des sucettes publicitaire de la ville de Paris (lien de l’article en bas de page). En conclusion, le bon de commande a été annulé par le juge le 22 mars 2018 et un accord transactionnel a été par la suite réalisé entre l’intercommunalité et le candidat pressenti. Quant aux prétentions du prestataire sortant tendant à l’annulation de l’appel d’offre, elles ont été rejetées dans une ordonnance du 5 mars 2018.