Une DSP de gré à gré justifiée pour des raisons organisationnelles : ça ne passe pas

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Pour des raisons organisationnelles, une autorité concédante n’a pas lancé une mise en concurrence pour renouveler sa délégation de service public relative à l’exploitation de son crématorium. Elle a opté pour le gré à gré avec l’ancien prestataire. Cette démarche n’a pas été admise devant le juge du référé contractuel.

La délégation de service public d’une commune du département du Nord, à propos de la création et de l’exploitation de son crématorium, a été réduite en poussière par le juge du référé contractuel à l’automne 2018. Pourquoi ? La collectivité avait renouvelé, de gré à gré, la convention avec son ancien prestataire en charge du service depuis 1989, pour une durée de vingt ans. La ville avait néanmoins publié un avis d’attribution, conformément à l’article 32 du décret relatif aux contrats de concessions, qui impose ce formalisme lorsque la valeur du contrat estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen. Une société concurrente a alors contesté cette attribution devant le tribunal administratif (TA) de Lille. La commune avait cependant justifié, dans sa délibération du conseil municipal, ce choix en mettant en avant la configuration du lieu. En effet, le crématorium était situé dans l’enceinte d’un complexe funéraire appartenant au prestataire.

Libéralisation du secteur des activités funéraires


D’après Maître Annaïg Donval, du cabinet Palmier-Brault-Associés, et défenseur de la société requérante, «  l’ensemble de l’argumentation du délégant était fondé sur les difficultés me_annaig_donval.jpgd’exploitation que pouvait engendrer la coactivité de deux prestataires, l’un pour le crématorium et l’autre, [celle de l’attributaire], pour ses activités de pompes funèbres privées (organisation d’obsèques, salons funéraires, transports de corps, soins de conservation, notamment) ». Selon l’avocate, le raisonnement de la collectivité est resté figé au temps où « le secteur des pompes funèbres n’était pas encore libéralisé, ni les activités funéraires rigoureusement réglementées par le code général des collectivités territoriales ». « Par l’effet de la loi n° 93-23 du 8 janvier 1983 et de ses modifications ultérieures, poursuit la collaboratrice du cabinet Palmier, tous les lieux nécessaires au fonctionnement du service public de la crémation devenaient propriété de la commune. De fait, la [ville] était devenue propriétaire du crématorium initialement concédé [au prestataire sortant], emportant ainsi une division de propriété du complexe funéraire ». Enfin, « le crématorium [de la ville], ne respectant pas les prescriptions de l’arrêté du 28 janvier 2010 relatif à la hauteur de la cheminée des crématoriums et aux quantités maximales de polluants contenus dans les gaz rejetés à l’atmosphère, ne pouvait continuer à  fonctionner davantage », souligne Me Annaïg Donval. L’avocat de la partie adverse n’a, quant à lui, pas souhaité communiquer sur cette affaire.

Motif non valable pour du gré à gré : des raisons organisationnelles 


En d’autres termes, le pouvoir adjudicateur s’est fondé sur des problèmes organisationnels pour se me_antoine_woimant_0.jpgdédouaner de son obligation de mise en concurrence. Il ressort de l’article 11 du décret précité qu’une autorité concédante peut recourir à une procédure de passation sans publicité ni mise en concurrence si : « le contrat de concession ne peut être confié qu'à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d'exclusivité ». Une problématique organisationnelle peut-elle s'immiscer dans le champ de cette disposition au titre des raisons techniques ? Le TA répond par la négative : « L’existence en un même lieu d’un complexe funéraire et du crématorium communal ne constitue donc pas, par elle-même, une raison technique justifiant de ne pas recourir aux procédures de mise en concurrence ».

Le contrat de concession ne peut être confié qu'à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques

La juridiction a fait une interprétation très stricte du texte, constate Me Antoine Woimant de MCL avocats, et tiers au contentieux. Me Annaïg Donval ajoute cette précision : « pour pouvoir recourir légalement à cet article, la commune devait démontrer à la fois, que [le prestataire] était le seul opérateur économique à pouvoir exploiter le crématorium, sans qu’aucune autre solution alternative raisonnable puisse être mise en œuvre et, à la fois, qu’il existe des raisons techniques imposant de confier la convention à cette société ».

La mise en concurrence, un moyen pour trouver des solutions alternatives


L’associé de MCL critique lui aussi la décision de la commune. Il rebondit sur le fait que l’autorité concédante n’aurait pas démontré le bon fonctionnement du service public en favorisant l’entreprise sortante :

Les soumissionnaires auraient peut-être proposé des solutions organisationnelles qui aurait pu pallier à cette prétendue complexité dans l’exécution du service public

« Si la ville avait lancé une mise en concurrence, elle aurait pu attribuer la concession au prestataire sortant, si celui-ci avait fait la meilleur offre. La commune aurait été dans l’obligation d’analyser l’ensemble des propositions. Les soumissionnaires auraient peut-être proposé des solutions organisationnelles qui aurait pu pallier à cette prétendue complexité dans l’exécution du service public. Il était également envisageable de prévoir un volet organisationnel dans la négociation ». Au passage, la collectivité n’aurait pas réalisé une étude approfondie sur l’existence de solutions alternatives, glisse Me Antoine Woimant. Comme le rappelle le TA, à l’appui du considérant 51 du préambule de la directive européenne du 26 février 2014 : « Compte tenu de ses effets négatifs sur la concurrence, l’attribution d’une concession sans publication préalable ne devrait être autorisée que dans des circonstances exceptionnelles […].  En outre, une évaluation approfondie devrait être effectuée afin de déterminer s’il existe d’autres solutions adéquates ». Le magistrat lillois a néanmoins annulé la convention avec un effet différé au 31 janvier 2019.