CCAG : « le terme "simplification" n'est pas adapté »

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En quelques mots ? " Des avancées significatives", Mais aussi " beaucoup de pièges". C'est ainsi que Jérôme Michon, Professeur en droit des marchés publics à l’ESTP et Président de l’Institut de la Commande Publique résume (exercice délicat s'il en est !) son analyse des CCAG 2021. Après avoir rédigé cinq " CCAG Annoté et commenté" ( à télécharger ci-après), nous lui avons demandé de porter un regard global sur les nouveaux CCAG, un peu plus d'un mois après leur publication. "Il s’agit d’une véritable refonte, qui est loin de constituer un simple toilettage".

Avec les CCAG 2021, des avancées significatives ont été réalisées, sans qu’il s’agisse pour autant de surprises, à l’instar de nouvelles règles en matière environnementale et sociale, ainsi que les obligations liées au RGPD considère Jérôme Michon. « Mais beaucoup de pièges existent dans ces nouveaux CCAG. Il faut bien les lire et mesurer les conséquences pratiques de chaque clause. Certaines d’entre elles, peuvent représenter du travail supplémentaire en interne pour l’acheteur, et d’autres ne collent pas avec les pratiques courantes

 

Comment jugez-vous, globalement, la réforme des CCAG ?


Jérôme Michon - Il s’agit d’une véritable refonte, qui est loin de constituer un simple toilettage. D’ailleurs, parfois le rédactionnel laisse perplexe : autant le Code de la commande publique a fait preuve d’une certaine rigueur juridique rédactionnelle, en collant aux terminologies des directives européennes ; autant les CCAG font l’objet d’un rédactionnel à la Française, à certains égards dépassé, qui renvoie à une approche désuète et, surtout, inexacte juridiquement.
 

De quelles inexactitudes parlez-vous ?


On parle de force majeure au lieu d’imprévision, et sans aucune harmonie entre les différents CCAG

Jérôme Michon - Les clauses concernées sont très nombreuses. Il me vient par exemple à l’esprit, le fait de viser des cas de « force majeure », tout en prévoyant une poursuite de l’exécution du marché (sous réserve de certaines adaptations), alors que la « force majeure », en droit classique, débouche sur la fin de la relation contractuelle (cf. la doctrine constante sur ce point, bien établie depuis très longtemps). Les rédacteurs voulaient viser la « théorie de l’imprévision » (un évènement extérieur rend nécessaire une adaptation contractuelle, le titulaire suspend l’exécution du marché, sous réserve d’adaptations, mais ce n’est pas la fin du contrat). On parle de force majeure au lieu d’imprévision, et sans aucune harmonie entre les différents CCAG.

Pareillement, à plusieurs reprises, on parle « d’avenant », au lieu de s’en tenir aux seules définitions juridiques existantes dans le Code de la commande publique (CCP), sur les « actes modificatifs ». Cela crée une confusion, et il y a une incohérence à prévoir parfois un seuil de 10 % (art. 14.2 du CCAG Maîtrise d’œuvre) pour l’établissement d’un avenant, alors que le CGCT impose le passage en CAO d’un avenant augmentant de plus de 5 % un marché ayant lui-même été présenté en CAO. Il faudrait toiletter le CGCT pour le mettre en adéquation avec le nouveau CCP (y compris eu égard aux dispositions concernant le contrôle de légalité préfectoral qui exige des documents qui n’ont plus d’existence juridique dans le CCP). D’ailleurs, même les cas où les « avenants » sont possibles, ne sont pas les mêmes évoqués dans tous les CCAG, sans qu’il y ait une raison d’être à ces divergences.

Les différents cas de suspension d’exécution d’un marché ne sont pas rédigés selon les mêmes termes, dans chaque CCAG, sans aucune raison recevable

Autre point : les différents cas de suspension d’exécution d’un marché ne sont pas rédigés selon les mêmes termes, dans chaque CCAG, sans aucune raison recevable. Par exemple, le CCAG Travaux (art. 32.1) vise l’hypothèse de matériaux pollués ou polluants, et le CCAG Maîtrise d’œuvre ou celui FCS n’en parlent pas, alors que des produits polluants pourraient être découverts dans le cadre de la fourniture et installation d’équipements, ou l’intervention d’une équipe de maîtrise d’œuvre, et justifier une suspension d’exécution de leurs marchés.

Bien plus grave, dans certains CCAG, on parle d’ « actualisation », alors que l’on devrait parler de « révision ». L’actualisation ne vise en aucun cas une clause de variation des prix applicable sur une période postérieure à la date de commencement d’exécution d’un marché.

S’agissant des groupements d’opérateurs économiques, certains CCAG traitent du cas de la défaillance du mandataire du groupement ; d’autres se contentent de traiter de la seule hypothèse d’une défaillance d’un membre (non mandataire) du groupement. Cette divergence rédactionnelle n’est pas justifiée. La défaillance du mandataire d’un groupement, ainsi que celle de n’importe quel membre du groupement, devrait être traitée dans tous les CCAG.
 

La création d’un nouveau CCAG Maîtrise d’œuvre constitue-t-elle un progrès ?


Je suis très étonné que certains syndicats représentants des acteurs (notamment) de l’ingénierie se soient réjouis dans la presse spécialisée, de l’adoption du CCAG Maîtrise d'oeuvre

CCAG Jérôme Michon - Et bien, je suis très content que vous me posiez la question ! Car pour être honnête, je suis très étonné que certains syndicats représentants des acteurs (notamment) de l’ingénierie se soient réjouis dans la presse spécialisée, de l’adoption d’un tel CCAG. Manifestement, ils ne l’ont pas lu avec un regard juridique, ce qui est pour le moins indispensable s’agissant d’un document portant sur des clauses types pour des contrats.
Ce nouveau CCAG comporte parfois un rédactionnel en deçà de la pratique rédactionnelle actuelle (plus subtile et détaillée) de bien des acheteurs, et a un côté parfois inadapté ou désuet.

Par exemple, cela fait une vingtaine d’années que l’on n’avait pas eu un texte adopté par voie réglementaire consacrant une formule de révision basée sur une part fixe à 0,15 et proportion à 0,85 (cf. art. 10.1.1). Et ce CCAG est particulièrement inadapté pour des travaux d’infrastructure. Il est tourné avant tout vers des opérations de « bâtiment ». Et plus précisément, celles où une mission de base est obligatoire, avec une phase de direction de l’exécution des travaux (DET) et d’assistance aux opérations de travaux (AOR).

L’article 4.1 du CCAG Maîtrise d’œuvre confère une valeur contractuelle à des clauses qui seront rédigées (postérieurement) à la signature du contrat de maîtrise d’œuvre : c’est comme la signature d’un chèque en blanc demandée aux professionnels de la maîtrise d’œuvre !

Mais le pire réside dans l’absence volontaire de développement de la mission d’un maître d’œuvre en phase d’exécution d’un marché de travaux. Pour cela, le CCAG Maîtrise d’œuvre renvoi au CCAG Travaux, qui lui-même … peut être complété, amendé, modifié par l’acheteur lors de la rédaction de son propre marché de travaux (via le CCAP de ce dernier).
En clair : le CCAG Maîtrise d’œuvre définit la mission d’un maître d’œuvre en phase « conception » pour des opérations où une mission DET et AOR est forcément prévue … et renvoie pour les missions d’un maître d’œuvre en phase « exécution », à un marché de travaux qui sera conclu ultérieurement, non pas entre le maître d’œuvre et l’acheteur, mais entre l’acheteur et les entrepreneurs. Ainsi, les règles applicables aux ordres de service d’exécution (n’étant pas liés à la phase conception) sont avant tout prévues dans le CCAG Travaux. L’article 4.1 du CCAG Maîtrise d’œuvre confère une valeur contractuelle à des clauses qui seront rédigées – postérieurement – à la signature du contrat de maîtrise d’œuvre.

C’est comme la signature d’un chèque en blanc demandée aux professionnels de la maîtrise d’œuvre ! Les maîtres d’œuvre signent un contrat qui renvoie à des clauses virtuelles, non écrites au jour où ils signent, et sur lesquelles ils pourront très bien ne jamais avoir leur mot à dire, puisque bien des acheteurs rédigent eux-mêmes les CCAP de leurs marchés de travaux. Et si c’est le maître d’œuvre qui rédige le CCAP du marché de travaux, alors c’est génial pour lui : il pourra déroger à toutes les obligations prévues dans le CCAG Travaux qui le viseraient lui-même, en tant que maître d’œuvre. Car ces clauses concernent précisément le rôle du maître d’œuvre !... donc leurs missions … donc leur travail … donc leur rémunération.

Si cela « satisfait » les professionnels de la maîtrise d’œuvre, de signer des clauses virtuelles, alors tout va bien … que les acheteurs en profitent !

Franchement, je suis très surpris que des syndicats professionnels, défendant les intérêts des ingénieurs ou architectes, aient pu dire publiquement qu’ils sont satisfaits de cela ! Un acheteur peut signer un contrat avec des ingénieurs ou architectes, qui consacre une force contractuelle à des clauses qui seront rédigées ultérieurement et potentiellement uniquement par l’acheteur, qui ne seront jamais signées par l’architecte ou l’ingénieur, et qui seront précisément signées uniquement par l’acheteur et un tiers au marché de maîtrise d’œuvre, à savoir l’entrepreneur. Le maître d’œuvre se retrouve avec des « précisions dans son rôle dans le cadre de l’exécution des marchés de travaux » (je cite l’article 4.1 du CCAG MOe) qu’il devra respecter, alors qu’elles figureront … ultérieurement … dans un contrat dont il ne sera pas partie cocontractante. Son rôle en phase exécution pourra être détaillé dans un autre marché, dont il n’aura pas connaissance au moment où il signera son propre contrat, et sur lequel on pourra se passer de lui demander son avis (puisqu’il ne signera rien par la suite).

Si cela « satisfait » les professionnels de la maîtrise d’œuvre, de signer des clauses virtuelles, alors tout va bien … que les acheteurs en profitent ! Une clause consistant à imposer à un maître d’œuvre de venir sur le chantier au moins une fois par semaine (et pourquoi pas, jour et nuit, 24h sur 24), avec des réunions de chantier quotidiennes, d’établir des comptes-rendus de chantier avec des reportages photos et films au quotidien, relève du volet « exécution » et non pas « conception », et se trouvera donc dans le CCAP du marché de travaux (non signé par le maître d’œuvre) renvoyant au CCAG Travaux. Et pourtant une telle clause s’appliquera bien au maître d’œuvre, puisqu’il aura signé un marché de maîtrise d’œuvre renvoyant au CCAG Maîtrise d’œuvre, qui confère une force contractuelle à toute précision de son rôle figurant dans le CCAG Travaux et donc dans le CCAP du marché de travaux complétant et renvoyant expressément à ce CCAG Travaux.
Ou encore, une clause imposant des obligations au maître d’œuvre de veiller aux déclarations de sous-traitance et à l’établissement des bordereaux de suivi de déchets (BSD), de les récupérer et de les transmettre à l’acheteur, … autant d’obligations non prévues historiquement par la loi Mop de 1985, intégrée désormais dans le Code de la commande publique … J’imagine que le maître d’œuvre qui se trouvera face à une telle clause, qu’il n’aura pas signée, rédigée postérieurement à la signature de son propre contrat, et qui lui sera bel et bien opposable juridiquement par l’artifice du renvoi du CCAG Maîtrise d’œuvre au CCAG Travaux, ne manquera pas d’exprimer son degré de « satisfaction » ...
 

 La DAJ a beaucoup communiqué sur un « rééquilibrage » des relations. Est-ce le cas ?


Il faudrait être naïf pour penser que les acheteurs vont massivement prévoir des «primes» pour les entreprises, ne pas déroger à la nouvelle limitation des «pénalités» de retard, opter pour le versement d’avances sans garanties financières...

Jérôme Michon - Toutes les réformes adoptées depuis le début de la crise sanitaire, sont tournées vers une défense des opérateurs économiques, et un amoindrissement des garde-fous nécessaires à une bonne gestion des deniers publics. Inciter à payer d’avance 100 % d’un marché public, avant que son titulaire n’exécute la moindre prestation, et ce, sans exiger la moindre garantie à première demande ou caution personnelle et solidaire, en est une illustration, qui aurait fait bondir les trésoriers (relevant du Ministère de l’économie) il y a quelques années. Si une collectivité locale avait adopté une telle disposition, sa trésorerie aurait refusé tout simplement de payer sans le moindre « service fait », et si par erreur, elle en avait assuré le paiement, son représentant aurait fini devant la Cour de discipline budgétaire et financière ! On reparlera de tout cela dans quatre ou cinq ans, après la fin de la crise sanitaire.

D’une manière générale, je vous confirme qu’un certain rééquilibrage a été entrepris. Mais il faudrait être naïf pour penser que les acheteurs vont massivement prévoir des « primes » pour les entreprises, ne pas déroger à la nouvelle limitation des « pénalités » de retard, opter pour le versement d’avances sans garanties financières … ou inversement, se précipiter pour prévoir d’importantes pénalités « forfaitaires » (sic les CCAG) en matière environnementale et sociale, ou pour absence de remise d’un schéma d’organisation et de gestion des déchets. Les acheteurs sont des êtres responsables, qui sauront être rationnels et raisonnables.
 

Est-ce que les nouveaux CCAG ont entrepris une simplification des anciennes règles ?


Jérôme Michon - Je ne pense pas que le mot « simplification » soit adapté. L’application désormais au marché de maîtrise d’œuvre, de la logique d’acomptes mensuels et de celle des décomptes mensuels, DGD, etc., bien connue en travaux, ne constitue pas franchement une simplification et un allègement du travail des services techniques et financiers des collectivités locales.
Autre illustration, je ne pense pas que l’on soit dans un souci de simplification, quant on impose à l’acheteur de prendre un ordre de service pour le démarrage de la période de préparation d’un marché de travaux, de définir lui-même dans son marché de travaux le contenu des missions devant être exécutées pendant cette période de préparation, puis d’adopter un nouvel OS pour démarrer la phase travaux, une fois la validation explicite par ses soins de la période de préparation.
Bien des acheteurs se contentent actuellement de prendre un OS unique, de démarrage de l’opération, incluant la période de préparation, dont le contenu est laissé librement déterminé par l’entrepreneur qui en assume la pleine responsabilité.
 

Il y a eu une certaine inquiétude alors que les nouveaux CCAG se faisaient attendre. Pouvez-vous nous rappeler quels sont les délais et impératifs de mise en œuvre des nouveaux CCAG


Il est urgent que les rédacteurs de marchés publics, s’approprient toutes les subtilités de ces nouveaux CCAG

Jérôme Michon - L’inquiétude était naturelle : la date d’une entrée en vigueur au 1er avril a été agitée depuis 2 ans (d’abord 1er avril 2020, puis à nouveau, pour le 1er avril 2021). Et c’est finalement, ce même 1er avril 2021, que les textes sont publiés. Certains acheteurs ont donc logiquement paniqué.

Comme vous le savez, les acheteurs disposent jusqu’au 30 septembre 2021 pour intégrer les nouveaux CCAG dans leurs marchés. Au-delà de cette date, les anciens CCAG seront devenus « caduques ». Il semble bien que ce soit ce terme qu’il convient d’utiliser, puisque les CCAG de 2009 n’étaient pas véritablement obligatoires. Mais comme les acheteurs font le choix de renvoyer aux CCAG dans une très large majorité, il est urgent que les rédacteurs de marchés publics, s’approprient toutes les subtilités de ces nouveaux CCAG, et identifient les clauses auxquelles il convient de déroger. Je les invite à les lire avec un regard opérationnel qui est le leur, et à toujours mesurer les incidences pratiques des clauses qu’ils prévoient. Ils comportent vraiment de nombreux pièges. Il ne faudrait pas que les acheteurs découvrent leurs incidences pratiques, seulement pendant la phase d’exécution de leurs nouveaux marchés.

 

Téléchargez les CCAG annotés et commentés par Jérôme Michon :



Consultez notre dossier "Appropriez-vous les CCAG 2021 !"