[TCP 2022 - Les lauréats] De la R&D dans un « marché achat innovant » : une récompense pour Bordeaux Métropole

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Le dispositif « marché achat innovant » ne se limiterait pas à l’acquisition de produits ou de services déjà existants. Une phase de recherche & développement peut être prévue avant l’achat. Avec un tel montage, pour acquérir des masques biosourcés et biodégradables, Bordeaux Métropole obtient un trophée de la commande publique 2022 dans la catégorie « Achat exemplaire »…

Bordeaux Métropole se voit remettre le Trophée de la commande publique 2022 dans la catégorie « Territoire - Achat exemplaire ». Un prix qui récompense son projet d’achat de masques chirurgicaux de type IIR biosourcés et biodégradables. Une opération lancée durant la pandémie de la Covid-19.

Cette volonté de l’établissement public d’acquérir un produit de cette nature, à ce moment-là, fait suite à une explosion des commandes de masques à l’attention de ses agents, aux tensions d’approvisionnement sur ce secteur, aux campagnes gouvernementales incitant à la réindustrialisation et à acheter français, mais aussi à la pollution qu’engendrent les masques chirurgicaux issus de la pétrochimie et à usage unique.
Cette action s’inscrit également dans les objectifs du Schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (Spaser) adopté par le conseil de la métropole en 2016, explique Mustapha Elouajidi, le chef du service achats.
 

Une prestation exercée dans le cadre du "marché achat innovant"


Bordeaux Métropole conclut à ce titre, en décembre 2020, un marché « achat innovant » pour une durée initiale de 18 mois, avec un laboratoire de recherche adossé à l’Université de Bordeaux. L’exécution démarre en janvier 2021. Et le montant maximum est de 99 999 € hors taxes. Ce dispositif contractuel existe depuis le décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018… codifié dorénavant à l’article R. 2122-9-1 du code de la commande publique (CCP). Il permet à un pouvoir adjudicateur de faire un marché sans publicité ni mise en concurrence dès lors que l’achat porte sur des travaux, services, ou fournitures innovantes, à la condition que la valeur estimé du besoin soit inférieure à 100 000 euros HT.

Avant de contractualiser, l’établissement public a réalisé un sourcing local. A l’aide de la méthode du faisceau d’indices, décrite dans le guide de l’achat public innovant de la DAJ de Bercy, seul le futur cocontractant était en capacité de répondre à leur besoin, à savoir concevoir des masques biosourcés et biodégradables, avance Nicolas Cros, Directeur achat et commande publique.
Le laboratoire, avec ses moyens de productions, au-delà d’être local, serait en pointe dans toutes les techniques de l’electrofilage, du tissage de la matière, des polymères. Et la fabrication des masques n’est pas issue de l’agriculture intensive, mais de de la sylviculture.

Le coût du masque biosourcé s’élève entre 16 et 20 centimes, à la différence d’un produit où le coût unitaire serait de 5 centimes. En revanche, les externalités seraient bien moindres

Selon Mustapha Elouajidi, l’innovation ne se réduit pas à la technique, elle peut être aussi sociale, environnementale, incrémentale. Le coût du masque biosourcé s’élèverait entre 16 et 20 centimes, à la différence d’un produit où le coût unitaire serait de 5 centimes.
En revanche, les externalités seraient moindres, tant dans la fabrication (au regard des matériaux utilisés), l’acheminement (le prestataire est à proximité) que dans l’élimination, puisque le masque biosourcé se dégraderait au bout de six mois. Il n’est donc pas nécessaire de l'incinérer. 
 

Le partenariat d’innovation détrôné


Les masques proposés par le laboratoire ont été conçues spécialement pour répondre à la demande de la collectivité. Cette conception s’est faite dans le cadre du « marché achat innovant », dans lequel était prévue un volet recherche et développement (R&D). Autrement dit, le contrat ne porte pas sur un achat afin d'acquérir une solution déjà existante.
Les prestations se décomposent en trois phases :
  • développement de matériaux filtrants à base de cellulose ;
  • réalisation de dix prototypes par solution de matériaux filtrants retenue pour tests en laboratoire ;
  • fabrication de deux-cents prototypes avec la solution de matériau filtrant optimale.

Le dispositif du "partenariat d’innovation", qui se caractérise par un volet R&D et une acquisition de l’objet conçu, a été délaissé par l’établissement public au profit du "marché achat innovant"

Les premiers prototypes livrés étaient des échecs, soulignent les agents, car ils n’étaient pas conformes aux normes de respirabilité. Des incidents ordinaires dès lors qu’il y a une phase de conception. Par la suite, des corrections ont été apportées afin qu’ils puissent être utilisés convenablement. Bordeaux Métropole attend le dernier livrable, avec un prototype réajusté à la suite du retour d’expérience des utilisateurs. 

Le dispositif du « partenariat d’innovation », qui se caractérise justement par un volet R&D et une acquisition de l’objet conçu, a été délaissé par l’établissement public au profit du « marché achat innovant ». Les agents considèrent le partenariat d’innovation comme une procédure chronophage et inadaptée à des projets de faibles envergures.
Même s’ils reconnaissent que ce mécanisme est davantage utilisé en Europe, en faisant référence à l’intervention de la Commission européenne à ce sujet à l’occasion du colloque Bordeaux Echanges Européens (BEE) de juin 2022 (relire : Le partenariat d’innovation : l’outil idéal face aux enjeux environnementaux ?).
Le « marché achat innovant » présente cet avantage : l’absence de mise en concurrence. Les parties ont pu notamment rédiger ensemble les clauses de propriété intellectuelle, note Mustapha Elouajidi. Et en cas de succès commercial à l'avenir : exiger un remboursement des sommes investies. 
 

Et après… ?


Le marché achat innovant de Bordeaux Métropole est aujourd’hui terminé. Néanmoins, si le besoin d’acheter des masques venait à redevenir conséquent, Nicolas Cros envisage le cas échéant de contracter de nouveau avec le laboratoire, dans le cadre cette fois-ci d’un marché sans publicité ni mise en concurrence justifié par l’exclusivité de l'opérateur (CCP, art. R. 2122-3), dès lors qu’il n’y ait pas d’autres entités qui proposeraient un produit similaire, et que le masque conçu par le laboratoire soit breveté (une démarche en cours).