Comment faire des pénalités de retard un outil de satisfaction du besoin de l'acheteur

  • 14/10/2021
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Les CCAG 2021 s’inscrivent dans une logique de circonscription des règles applicables aux pénalités de retard. Selon Abdoul Karim Diallo, responsable d'un service commande publique au sein d'une communauté de communes, dans la mesure où il n’est pas obligé de recourir à un CCAG, l’acheteur doit faire un choix entre déroger à la clause de plafonnement des pénalités ou ne pas déroger...(au moment de la préparation du marché et un choix, pour leurs applications, au cas par cas, au moment voire après l’exécution du contrat.

L’acheteur conclut un contrat de la commande publique « pour répondre à ses besoins » (CCP, art. L. 2). Naturellement, sa démarche et ses outils contractuels doivent concourir à atteindre cette finalité. Il en est ainsi même pour les pénalités de retard, c'est-à-dire lorsqu’un retard dans l’exécution du contrat est imputable notamment au titulaire ou à son sous-traitant. Elles ont une fonction dissuasive et réparatrice.
Plusieurs questions concernant ces pénalités semblent d’ores et déjà avoir trouvé réponse. Le juge peut modérer les pénalités ayant un caractère manifestement excessif ou dérisoire (CE 29 décembre 2008, OPHLM de Puteaux, req. n° 296930). Celui-ci a institué, à cet effet, un régime juridique (CE 19 juillet 2017, Centre hospitalier interdépartemental de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, req. n° 392707) et semble fixer, de temps à autre, un " pourcentage plafond, du montant total du marché"(Exemple : 25 % CAA Marseille, 20 avril 2015, req. n° 13MA04496 - CAA Versailles 7 juin 2018, req. n° 16VE03140-16VE03187 CAA Bordeaux, 6 novembre 2019, req. n° 17BX03611), au-delà duquel il les modère.

Les CCAG 2021 s’inscrivent dans cette logique de circonscription des règles applicables aux pénalités de retard. Parmi les clauses, remarquées, que tous les CCAG 2021 ont en commun figurent celles relatives au plafonnement des pénalités de retard à 10 % du montant total du marché. On tend vers « Qui en veut à l’épée de Damoclès de l’acheteur au point de la réduire “à une miette” » ? Mais ce n’est pas réellement la question qui nous semble la plus intéressante.
Dès lors qu’il n’est pas obligé de recourir à un CCAG, il doit faire un choix entre au moins deux choses : déroger à la clause de plafonnement des pénalités ou ne pas déroger et ce, dès le 1er octobre 2021.
L’acheteur doit diriger ses choix pour satisfaire ses besoins dans le cadre des règles régissant la commande publique. Et s’il existe une règle d’or en matière de commande publique, c’est qu’il n’existe pas de choix unique que l’acheteur pourrait utiliser pour satisfaire tous ces besoins. Il ne peut donc normalement décider de déroger à la clause de plafonnement des pénalités pour tous ces besoins ou l’inverse. Pour le dire de manière métaphorique, le couteau suisse n’a pas d’équivalent dans la commande publique.
Alors, comment l’acheteur pourrait-il utiliser les pénalités de retard pour satisfaire ses besoins ?
La diversité et les caractéristiques des besoins de l’acheteur l’obligent à choisir au cas par cas, lors de la préparation du contrat et également au moment, voire après, l’exécution du contrat.
 

Analyse casuistique des pénalités lors de la préparation du contrat

 
L’identification claire de l’importance accordée au délai d’exécution
Déterminer la place du délai d’exécution est à la fois obligatoire et nécessaire. L’article L. 2111-1 du CCP dispose que « La nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation ». N’est pas déterminé avec précision un marché public qui ne comporte pas d’échéance (CE 1er juin 2011, req. n° 345649).
Indépendamment de cette obligation légale, l’acheteur a des besoins qui nécessitent une satisfaction avant une date bien définie. C’est le cas d’un marché ayant pour objet la construction d’une école avant la rentrée scolaire.
L’acheteur a plusieurs manières de clarifier l’intérêt qu’il réserve au respect du délai d’exécution. Il peut le manifester dans un critère d’attribution ou simplement l’indiquer dans son DCE. Plus cet intérêt est pesant dans la satisfaction de son besoin, moins il négligera la place des pénalités, car elles sont un moyen d’assurer le respect des délais. C’est pourquoi il ne doit pas négliger la phase de préparation de son projet.

L’acheteur a donc intérêt à cantonner sa liberté contractuelle à ce qui est nécessaire à la satisfaction de son besoin avant de le porter clairement à la connaissance des entreprises

D’abord, il doit connaître le secteur d’activité concerné par son besoin afin d’allier nécessité, faisabilité et souplesse. Ensuite, il lui est nécessaire d’établir un projet précis décliné dans des plannings. L’objectif est d’assurer un suivi maîtrisé de toutes les phases de satisfaction de son besoin sans être paralysé par l’urgence.
En conséquence, l’importance accordée au délai d’exécution dans la satisfaction du besoin est un préalable au choix, déroger ou ne pas déroger au plafonnement des pénalités. Plus elle est élevée, plus nous sommes tentés de conseiller de ne pas plafonner les pénalités ; moins elle est importante, plus nous appelons à la souplesse au moins pour deux raisons.
Fixer un délai d’exécution serré suppose une contrainte supplémentaire pour les opérateurs économiques susceptibles de répondre. L’acheteur risque soit de dissuader certains soit de payer les frais de cette contrainte puisque les soumissionnaires en tiennent compte pour proposer une offre.
L’acheteur a donc intérêt à cantonner sa liberté contractuelle à ce qui est nécessaire à la satisfaction de son besoin avant de le porter clairement à la connaissance des entreprises. 
 
La rédaction claire des clauses relatives aux pénalités
L’acheteur a principalement deux choix. Soit il fait un renvoi total ou partiel à un CCAG ; soit il rédige entièrement ses clauses. Dans les deux cas, son choix reste guidé par les exigences de son besoin et ne doit laisser aucune ambiguïté sur le régime des pénalités. Il doit apporter clarté et précision sur notamment sur ce qu’il entend par pénalités de retard, leurs modalités de calcul et la procédure d’application.

D’abord la définition du retard implique une stipulation d’un délai d’exécution (global ou par tâche) non équivoque. Est-il constitué de jours calendaires ou ouvrés ? Intègre-t-il un délai de préparation ? À quel moment commence-t-il à courir ? La période de levée des réserves est-elle concernée ?... Ainsi, le retard sera un manquement à ce délai imputable à un ou plusieurs opérateurs économiques. 

Une clause de pénalités inadaptée peut être illégale ou source de dissuasion des potentiels candidats ou soumissionnaires. Ce qui risque de le rattraper en phase d’exécution

.Ensuite, l’acheteur prévoit une méthode de calcul qui traduira les retards en termes financiers. Il gardera le caractère dissuasif des pénalités en évitant de les limiter en un petit pourcentage du montant total du marché lorsque le respect du délai est important pour satisfaire son besoin. Une méthode de calcul assortie d’une limitation des pénalités nécessite une grande vigilance lors de l’analyse des offres. Il n’est pas exclu, en ce cas, que les pénalités soient provisionnées par les opérateurs économiques.

Enfin, il doit indiquer quand et comment les pénalités seront appliquées. Il est préférable pour l’acheteur de se laisser la possibilité de les appliquer au moment des acomptes mensuels ou, lors de l’établissement du solde, de mettre préalablement en demeure le titulaire et de prévoir les modes amiables de résolution des conflits avant la saisine du juge.

Ces étapes ne sont pas exhaustives. Toutefois, l’acheteur doit toujours avoir à l’esprit qu’une clause de pénalités inadaptée peut être illégale ou source de dissuasion des potentiels candidats ou soumissionnaires. Ce qui risque de le rattraper en phase d’exécution.
 

L’analyse casuistique des pénalités en phase d’exécution 

 

Des pénalités modérées selon l’importance accordée au délai
Malgré le caractère dissuasif des pénalités, le titulaire peut accuser des retards dans l’exécution des prestations. En ce cas, l’acheteur inflige des pénalités pour réparer la marge d’insatisfaction de son besoin. Toutefois, il devra éviter une application mécanique de celles-ci pour privilégier une analyse casuistique. Le juge se fonde en principe sur l’ampleur du retard et le montant du contrat. L’acheteur doit donc s’assurer du caractère modéré des pénalités avant leur application.

Tout part, encore une fois, de l’importance du délai d’exécution manifestée dans les documents contractuels. Ainsi, un marché ayant un critère d’attribution "délai" se prête moins à la modulation des pénalités qu’un marché qui n’en dispose pas. L’acheteur peut également prendre en compte, sa satisfaction globale des prestations exécutées, sa part de responsabilité dans les retards, des conséquences des pénalités sur les finances du titulaire, des comportements du titulaire, les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’exécution du contrat, l’importance du préjudice subi, la nature du titulaire, les fautes commises par les autres titulaires ou des tiers… sans oublier les causes d’exonération de responsabilité.
Sur ce point, si l’acheteur peut, sur le fondement de la liberté contractuelle renoncée à l’application des pénalités, il reste lié par son contrat. Une renonciation importante peut porter atteinte aux règles de la concurrence, constituer un délit d’avantage injustifié, une libéralité…
En conséquence, l’application des pénalités est un travail subtil à manier au cas par cas selon les spécificités du contrat. En plus, la question de la forme est souvent négligée alors qu’en droit la forme prime le fond. 
 
Des pénalités appliquées selon la procédure exigée
L’application des pénalités est soumise à des règles de forme. Elles sont prévues par le contrat et doivent également être combinées avec des règles connexes.
La procédure prévue par le contrat s’impose aux parties. L’acheteur ne peut par exemple appliquer une méthode de calcul des pénalités autre que celle contractuelle. Il en est ainsi d’une mise en demeure ou d’un courrier d’information ou l’EXE 13 ou tout autre procédé dont le suivi préalable est imposé par le contrat avant la mise en œuvre des pénalités.

Ne sont pas uniquement concernées que les clauses régissant directement les pénalités. L’exemple idéal est un défaut commis dans l’exécution des différentes étapes de la réception d’un marché de travaux. Ne pas notifier la décision de réception ou oublier de comptabilité les pénalités dans le décompte général jusqu’à ce qu’il devienne définitif sont, entre autres, des manquements de forme qui peuvent entraver l’application des pénalités indépendamment du fond. C’est dire que le respect de la forme est indispensable au succès du fond. 
Il n’y a pas, non plus, « que le contrat rien que le contrat ». Il doit être combiné avec les règles régissant la commande publique en général. À défaut d’une réception régulière d’un marché, par exemple, l’acheteur ne peut émettre un titre de perception dès lors que la créance n’est pas liquide et exigible. Les règles régissant les titres exécutoires sont prévues notamment par les articles L. 1617-5 et D. 1617-23 du CGCT. 
L’acheteur a donc intérêt à être pointilleux sur la procédure à partir du moment où même un défaut de signature d’un document peut neutraliser les pénalités qui lui sont pourtant dues.
En conséquence, l’acheteur qui souhaite utiliser les pénalités pour satisfaire ses besoins peut suivre la procédure suivante. Bien définir ses besoins, au cas par cas, en identifiant clairement la place du délai d’exécution et le traduire dans un DCE de manière claire et précise, puis, le cas échéant, les appliquer légalement de façon modérée, au cas par cas.