[Tribune] Mieux articuler durée du contrat et délais d’exécution

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Selon Yannick Tissier Ferrer, bien articuler durée du contrat et délais d’exécution n’est en réalité pas si compliqué. Alors, s’interroge le directeur de la commande publique d’Antony, «pourquoi laisser subsister un risque juridique et/ou opérationnel que l’on peut aisément éliminer ?»

L’acheteur public est sans cesse tiraillé par la poursuite d’objectifs variés et parfois contradictoires. Lors de la rédaction de son marché, il devra notamment définir parfaitement son besoin, décrire le mécanisme des techniques particulières d’achats utilisées, prévoir des clauses sécurisantes en cas d’aléas d’exécution...  Pour autant, il devra conserver une certaine souplesse d’exécution et adopter une rédaction claire et à la volumétrie maitrisée, s’il veut que ses clauses soient lues, comprises et appliquées (accessibilité de la commande publique).

L' exercice d’équilibriste que mène l'acheteur public peut conduire à supprimer certaines clauses ou accentuer la confusion entre certains mécanismes juridiques : tel est parfois le cas entre durée du contrat et délais d’exécution


Cet exercice d’équilibriste peut conduire à supprimer certaines clauses ou accentuer la confusion entre certains mécanismes juridiques. Tel est parfois le cas entre durée du contrat et délais d’exécution. Par méconnaissance ou par simplicité, il n’est pas rare que les contrats confondent ces deux notions ou ne les articulent pas parfaitement. Dans la plupart des cas, cette approximation juridique n’aura que peu de conséquences. Mais dans d’autres, elle peut accentuer des difficultés d’exécution.

Revenir sur les définitions

La durée du contrat engage les deux parties là où un délai d’exécution n’engage que son débiteur

La durée d’un contrat (marché ou concession) peut se définir comme sa période de validité, c’est-à-dire le temps pendant lequel chaque partie peut exiger de l’autre le respect de ses engagements. La durée du contrat doit donc englober l’ensemble des échéances et obligations contractuelles, y compris les obligations purement administratives ou financières.  Le délai d’exécution, quant à lui, correspond au temps imparti à l’une des parties pour exécuter une obligation contractuelle précise. La durée du contrat engage donc les deux parties (qui sont liées durant celle-ci) là où un délai d’exécution n’engage que son débiteur (qui pourra être sanctionné s’il ne s’y conforme pas). En outre, si la durée du contrat est unique, les délais d’exécution peuvent être multiples.
Quant à leur articulation, un délai d’exécution débute nécessairement pendant la période de validité du contrat et se termine avant le terme de celui-ci (exception faite des accords-cadres dont l’exécution d’une prestation peut exceptionnellement s’achever après la fin du marché).

Caler la durée du marché sur le délai d’exécution de la prestation principale conduit souvent à ignorer l’existence d’engagements satellites

Lorsqu’un marché porte sur une prestation unique que le titulaire ne doit accomplir qu’une seule fois, le délai d’exécution coïncidera presque parfaitement avec la durée du marché, ce qui concourt très probablement à la confusion des deux notions.
Mais en y regardant de plus près, cette situation n’est pas si courante. En effet, caler la durée du marché sur le délai d’exécution de la prestation principale conduit souvent à ignorer l’existence d’engagements satellites. Pour mieux articuler durée du contrat et délais d’exécution, souvenons-nous de cinq de leurs caractéristiques.

1 - Le contrat peut débuter avant la réalisation de la prestation principale

Dans certains cas, le titulaire devra réaliser certaines actions avant d’exécuter la prestation attendue par l’acheteur. Il devra, par exemple, reprendre le personnel du titulaire sortant, prendre possession de locaux ou d’informations nécessaires à la réalisation de sa mission. Dans ces hypothèses, caler la durée du marché sur le délai d’exécution conduit à ignorer une partie du travail du titulaire et creuse un peu plus le fossé qui sépare le juriste de la réalité de terrain. Il risque également de mettre en difficulté son cocontractant et accroitre le risque d’une mauvaise exécution de la prestation.
Prenons l’exemple d’un marché de location-entretien de vêtements de travail. La prestation principale va consister à délivrer, chaque lundi matin, les vêtements propres des agents pour la semaine et à récupérer les vêtements sales qu’il faudra laver et restituer le lundi d’après.  Cette tournée hebdomadaire constitue le délai d’exécution. Pour autant, le marché ne peut pas débuter au jour de la première tournée. Le titulaire devra nécessairement, en amont de celle-ci, prendre les mesures des agents concernés et confectionner ou acheter leurs vêtements. Le marché doit donc débuter en amont de la date à laquelle l’acheteur entend disposer de la première série de vêtements propres. Il pourra même prévoir un délai spécifique de mise en service. Surtout, l’acheteur devra tenir compte de cette étape dans son planning de passation pour laisser un temps suffisant entre la notification du marché et le début d’exécution.

2 - Le contrat peut se terminer après la réalisation de la principale prestation

Maintenir la validité du contrat après la fin de la mission principale permet de prévoir des sanctions contractuelles

Dans de nombreux cas, le cocontractant devra remettre des documents à l’acheteur, à l’issue de sa mission : les DOE pour les marchés de travaux, la réversibilité des données en marchés informatiques, les consignes d’exploitation dans certaines concessions … L’acheteur doit donc pouvoir compter sur la validité de son contrat pour s’assurer que son ancien prestataire les lui remettra.
Dans la même logique, l’acheteur aura tout intérêt à maintenir la validité de son contrat jusqu’au retrait effectif du matériel loué (et non pas seulement jusqu’à la fin de la période de location) afin de pouvoir disposer de sanction coercitive en cas de refus du prestataire sortant de retirer son matériel.
Maintenir la validité du contrat après la fin de la mission principale permet de prévoir des sanctions contractuelles (notamment des pénalités) permettant de forcer le cocontractant de l’acheteur à lui fournir toutes les prestations qui lui sont dues.

3 - Le délai d’exécution n’est pas toujours unique

L’acheteur  devra veiller  à la cohérence d’ensemble et à la bonne articulation de tous ses délais d’exécution pour que leur accumulation ne nuise pas à la compréhension et à l’exécution du contrat 

Si la durée du contrat est unique, les délais d’exécution peuvent être multiples. Dès lors que des prestations satellites seront identifiées, l’acheteur aura tout intérêt à les mentionner dans son contrat, leur associer leurs propres délais d’exécution et des sanctions adaptées.  Il peut s’agir de délais pour des commandes urgentes, de délais de restitution par éléments de missions, d’un délai de mise en service… Outre une meilleure prise en compte de l’exécution réelle du contrat, la décomposition des délais peut permettre à l’acheteur de se doter d’outils pour faire face aux contraintes qu’il subit.
Il peut arriver, dans certains marchés de maintenance de logiciels informatiques, que l’éditeur rechigne à faire part du temps nécessaire (et donc du montant) pour réaliser un développement spécifique demandé par l’acheteur. Cette absence de réponse empêche l’acheteur de passer commande et de répondre à son besoin. Prévoir un délai de transmission des devis, avec une pénalité forfaitaire associée, peut alors représenter un levier intéressant pour l’acheteur qui se sentirait pris au piège par son éditeur.
L’acheteur veillera néanmoins à la cohérence d’ensemble et à la bonne articulation de tous ses délais d’exécution pour que leur accumulation ne nuise pas à la compréhension et à l’exécution du contrat. Il s'assurera d'ailleurs qu'ils soient objectivement tenables.

4 - La durée du marché englobe la réception des prestations et la garantie contractuelle

La plupart des garanties dont dispose l’acheteur lors de l’exécution d’un marché public sont issues des CCAG. Il s’agit donc de garanties contractuelles. L’acheteur ne pourra donc contraindre son cocontractant à honorer sa garantie que si le contrat est encore valide au moment où il souhaite activer la garantie.
En englobant la période de garantie dans la durée du contrat, l’acheteur sécurise ainsi la gestion de la retenue de garantie ou l’application des pénalités pour mauvaise exécution qu’il a pu prévoir. Cela sera d’autant plus utile lorsque la réception et le règlement des comptes sont complexes, s’étalent dans le temps et peuvent souffrir de contestations (marchés de travaux, DSP de longue durée…).

5 - La durée du contrat peut être déterminable

Si l’on souhaite tenir compte de tous les aléas prévisibles et englober dans la durée du contrat toutes les situations précitées, prévoir une durée fixe du contrat peut tenir de la divination

La durée du contrat n’est pas obligatoirement calculée de manière fixe, calendaire. Si l’on souhaite tenir compte de tous les aléas prévisibles et englober dans la durée du contrat toutes les situations précitées, prévoir une durée fixe du contrat peut tenir de la divination. Il est alors préférable d’opter pour une durée déterminable, c’est-à-dire une durée dont la date de début et/ou de fin du contrat est fixée en fonction d’un évènement précis dont la date sera connue ultérieurement.
Une durée déterminable est parfaitement adaptée aux marchés de travaux. La durée d’un marché de travaux peut courir de sa date de notification, pour toute la durée des travaux et jusqu’à la fin de toute obligation en découlant (période de garantie incluse).
L’intérêt d’une telle clause, qui n’est pas calculée sur la durée prévisionnelle des travaux, est de pouvoir absorber tout retard de chantier sans remettre en cause la durée du contrat. Cela évitera que certains trésoriers refusent de payer les situations de travaux lorsque ceux-ci sont plus longs que prévus et ne réclament un avenant susceptible d’écraser les pénalités de retards tout en mettant l’acheteur en position de faiblesse par rapport à son cocontractant.
Cette clause permet également de sécuriser le mécanisme d’établissement du DGD, surtout si l’acheteur entend déroger au CCAG-Travaux et réduire les droits du titulaire.

Dans la même logique, pour les services dont l’amortissement économique de la prestation dépend de la durée du contrat, une durée calculée à compter de la date effective de mise en service des appareils ou de début effectif d’exploitation permet de tenir compte des éventuels retards dans la phase de démarrage, sans remettre en cause l’équilibre économique du contrat.

Finalement, bien articuler ces deux notions n’apparait pas si compliqué. Alors pourquoi laisser subsister un risque juridique et/ou opérationnel que l’on peut aisément éliminer ?